Synthèse de la conférence donnée par Lucien Kehren, docteur es sciences
UNESCO, le 7 novembre 2003, dans le cadre de « L’Inde de l’eau ».
Pour combattre la pollution de l’eau qu’il a lui-même provoquée, l’homme a créé à partir de nos techniques de transport et de traitement de l’eau, de nouvelles altérations dans l’environnement qui sont autant de casse-tête, autrement dit des énigmes.
Première énigme : le devenir des plastiques des récipients.
L’énigme ne concerne pas directement l’eau mais son contenant : les bouteilles jetables en plastique que l’homme a conçues en vue de transporter l’eau commodément sans vouloir prendre en compte leur danger pour l’environnement. Les eaux minérales sont bienvenues pour les populations assoiffées mais les matières plastiques qui composent les bouteilles représentent à long terme une grave menace pour l’écologie. Elles sont imputrescibles, résistantes, imperméables. Les bactéries et les animaux sont incapables de les consommer. Ces matières plastiques sont composées en grande partie de substances tirées du pétrole, l’éthylène, le propylène et parfois même le chlorure de polyvynil.
Ces matières plastiques sont transparentes et on peut les mouler en forme de bouteilles légères, imperméables, résistantes aux chocs, aux agents chimiques et aux microbes. Leur emploi est très préoccupant dans la mesure où il s’agit de bouteilles jetables. Donnons un exemple : par rapport au litre d’eau transporté le poids moyen de plastique utilisé est de 26g, et pour une ville moyenne de 100 000 habitants, cela donne 5 millions de bouteilles, soit 130 tonnes de plastique à éliminer par an. Pour chaque million d’homme cela produit 260 tonnes de matières polymérisées à éliminer chaque année et ce chiffre est en constante augmentation. Pour plusieurs années, à l’échelle mondiale de plusieurs millions de consommateurs potentiels, l’homme aura à affronter la présence stagnante de milliards de tonnes de plastique. Notre société de consommation tente par le tri de séparer les bouteilles pour les recycler en objets divers, mais les différences de composition du plastique en limitent l’application, ainsi que la rareté relative et le coût des usines de traitement, ainsi que les difficultés de ramasser et d’acheminer les bouteilles. Notons que le recyclage n’est que le passage du plastique d’une forme à une autre, car les molécules du plastique continuent à être présentes et à s’accumuler inexorablement dans la nature pendant plusieurs centaines d’années. On a essayé de détruire les matières plastiques par incinération. C’est un grave danger pour l’environnement : les molécules de plastique composées d’atomes d’oxygène, d’hydrogène, de chlore, mais surtout de carbone, sont défaites par le feu en gaz d’effet de serre et le chlore pourra altérer la couche d’ozone. L’élimination des récipients d’eau potable en plastique est donc une énigme pour la société.
L’Inde est en voie d’accéder au train de vie moderne de nos pays industrialisés. Ses habitants sont aussi tentés de plus en plus par l’emploi si commode en apparence des bouteilles d’eau jetables en plastique. Souhaitons que les Indiens envisagent sans trop tarder de ne pas imiter notre imprévoyance. Pour l’instant il n’y a pas encore de solution valable pour les éliminer. La seule chose que l’on pourrait faire actuellement : ne plus se servir de bouteilles en plastique bien sûr et essayer de trouver un modèle de bouteille en fibre végétale imperméabilisée. Mais bien entendu cela coûtera beaucoup plus cher, puisqu’à l’heure actuelle les matières plastiques sont faites à partir des résidus du traitement du pétrole.
Deuxième énigme : épuration = pollution
Les eaux usées des agglomérations sont dirigées vers des stations de traitement, lequel est généralement biologique. Les eaux usées sont mises en contact avec des micro-organismes aérobies qui décomposent les molécules des déchets. Au bout de quelque temps, des boues précipitent et l’eau qui surnage est dirigée vers un autre bassin. De là elle est évacuée à travers un tamis naturel fait avec des petites pierres, du sable ou un grillage. On a ainsi de l’eau propre traitée par voie biologique, mais les boues qui sont tombées au fond du bassin, que deviennent-elles ? Où sont passés ces polluants ? Ils sont là et il faut les estimer à leur importance : pour une agglomération équipée d’un modèle courant de ces stations, la production en boue fraîche correspond à environ 0, 26 kg par habitant et par jour, et contient 87% d’eau. Il faut la déposer sur un terrain drainé où l’eau en excès s’écoule, afin qu’elle ne contienne plus que 60% d’eau parce que c’est à cette consistance qu’on peut la déplacer. Elle va laisser échapper par personne et par jour 0, 125 kg de liquide. Prenons pour exemple une ville de 100 000 habitants qui devra évacuer par jour 26 tonnes de boue fraîche, soit 9 990 tonnes par an, et laissera s’écouler un jus infect de 12m3 500 par jour. Que faire des 4 000 tonnes annuelles de boue partiellement séchée qui renferment encore quelques microbes pathogènes, qui sont malodorantes et qui de ce fait doivent occuper un vaste site éloigné des habitations ? Que faire de ces 4 500 m3 d’eau sale qui s’écoulent des boues placées en litière ?
On a proposé d’utiliser ces boues partiellement séchées en agriculture pour les sols comme engrais, mais ces boues ont une composition peu favorable pour les micro-organismes du sol, qui transforment des produits en humus. Pour former de l’humus, il faut une certaine quantité de carbone mais aussi d’azote. Or les boues ne contiennent presque plus d’azote et n’ont que du carbone. Elles sont donc déséquilibrées. J’ai fait quelques essais au Maroc dans une station pilote. J’avais essayé de coupler le traitement des ordures ménagères avec le traitement des boues en question, parce que le traitement organique des ordures ménagères convenablement broyées, aérées, développe une flore microbienne extrêmement active. Au bout de quelques semaines on arrive à faire se développer des micro-organismes thermophiles jusqu’à 75-80% de température pendant plusieurs semaines, d’où pasteurisation naturelle. Si l’on commence à mélanger peu à peu les boues avec les ordures, la fermentation se déroule normalement et on obtient un bon compost, dont le rapport carbone sur azote est tombé à 15 qui est la proportion nécessaire aux micro-organismes du sol pour fabriquer de l’humus.
Pour l’Inde qui sera amenée à installer de sa propre fabrication de nouvelles stations d’épuration des eaux usées dans l’avenir en plus de celles construites récemment par des entreprises étrangères, la biotechnologie devrait lui faire prendre en considération l’efficacité réelle de la partie de l’installation de l’élimination des boues, et d’imposer le traitement des boues et de tous les résidus comme condition préalable. Il semble qu’il serait logique et sanitairement préférable pour une ville de prévoir d’installer à chaque fois la station de traitement des eaux usées à côté d’une usine de compostage des ordures ménagères et de produire ainsi un engrais pour l’agriculture.
Que faire des matières organiques séparées du traitement, celles qui développent des maladies par les micro-organismes, qui sentent très mauvais et dont personne ne veut ?
Je m’occupe des problèmes de recherche pour l’environnement depuis des années, et dans plusieurs pays, et je dois dire que dans ces domaines de lutte contre la pollution directe et indirecte des eaux, on n’a pas fait beaucoup de progrès ; au contraire, la situation s’est aggravée dans le monde, comme on le constate.
Recueil de notes par Françoise Vernes