Conférence donnée par France Bhattacharya, professeur émérite des universités, Inalco,
le lundi 7 novembre 2016 au Centre André Malraux, Paris
Vidyasagar (1820-1891) – La tradition au service du combat pour les femmes
Les biographies de Vidyasagar sont nombreuses. Écrites dès après sa mort et tout au long du XXe siècle, certaines louent son action en faveur des femmes, d’autres, au contraire, la blâment, mais toutes le félicitent d’avoir développé l’enseignement. Deux sont particulièrement intéressantes : son autobiographie, et la biographie écrite par son frère cadet. L’autobiographie est inachevée : elle ne comporte que quelques pages. Vidyasagar arrêta son récit quand il était âgé de 8 ans seulement, et il en consacra l’essentiel à parler de ses grands-parents, personnages hors du commun, et de son père.
Une famille traditionnelle du Bengale
Ishvarchandra Vidyasagar appartient à une famille de brahmanes pauvres, mais lettrés, du Bengale occidental. Son grand-père paternel, s’étant querellé avec ses frères après la mort de leurs parents, revêtit le costume ocre des renonçants et partit en pèlerinage, laissant sa femme, ses deux fils et ses quatre filles au foyer qu’il quittait. En butte aux tracasseries de ses belles-sœurs, Durga, la grand-mère paternelle de Vidyasagar, abandonnée par son mari pèlerin, revint au foyer de ses parents à Birsingha, village du district actuel de Midnapur (Medinipur), au sud-ouest du Bengale. Son père lui fit construire une hutte couverte de feuillage pour elle et ses enfants. Durga se procura un rouet et vécut très chichement de la vente du fil de coton qu’elle filait. Vidyasagar admirait beaucoup la force de caractère de cette grand-mère.
Un incident arrivé à son père déterminant pour son combat
Lorsque le fils aîné, nommé Thakurdas, père de Vidyasagar, eut environ 14 ans, il partit pour Calcutta afin d’y chercher un emploi. Auparavant, il avait étudié, à l’école du village, le bengali, le calcul et un peu de comptabilité. A Calcutta, il trouva asile chez un parent assez aisé qui lui fit donner des leçons d’anglais par un employé bengali du port. Finalement, Thakurdas alla vivre chez un parent de son professeur d’anglais. Cet homme rentrait très tard le soir de son travail en rapportant quelques provisions, et Thakurdas devait attendre son retour pour pouvoir cuisiner. Le logeur n’étant pas brahmane, l’adolescent ne pouvait pas manger sa cuisine. A jeun toute la journée, il avait très faim. Un jour, affamé, il marchait dans la ville. Il arriva devant une boutique où une femme d’un certain âge vendait du riz soufflé, muḍki. Il lui demanda un peu d’eau. La marchande lui en versa et, voyant son état physique, lui donna aussi une poignée de paddy soufflé, muḍki. Thakurdas, ému, en eut les larmes aux yeux. La femme lui demanda : « Petit, pourquoi pleures-tu ? » Il répondit : « Mère, je n’ai rien mangé de toute la journée. » La femme, compatissante, lui offrit une collation de riz soufflé avec du lait caillé. Elle lui dit de revenir la trouver les jours où il n’aurait pas eu à manger. Dans son autobiographie, Vidyasagar écrit qu’il tira de cet incident, arrivé à son père, un immense amour et un grand respect pour les femmes.