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Une toile peinte indienne, reflet du commerce international au XVIIIe siècle

Synthèse de la conférence donnée par Yolande Crowe, Docteur en art et archéologie islamique (School of Oriental and African Studies)

14 avril 2008, Centre André Malraux
Toile indienne

Yolande Crowe nous présente une toile peinte indienne rare (datée 1772) qui nous fait découvrir l’Asie des Compagnies des Indes orientales en ce XVIIIe siècle où le commerce est déjà mondialisé. Cette pièce du British Museum appartient à une série de grandes toiles de chintz produites au XVIIIe siècle sur la côte de Coromandel pour une clientèle internationale. Elle s’en distingue néanmoins par la complexité de ses motifs. Destiné au marché indien, un tel exemplaire servait de dais ou de tapis. Mais à l`exportation, on en sélectionnait certains motifs qui servaient aussi bien à l’ameublement qu’à l’habillement. On les adaptait au goût hollandais, anglais ou français. Les artisans indiens excellaient à honorer des commandes si variées.

La contribution du savoir-faire indien au marché international
La dimension importante de cette indienne (5 mètres sur 5), sa matière (toile de coton), la délicatesse de ses motifs contrastés, organisés autour d`un médaillon central, la désignent comme une doublure de dais de tente d’apparat, et non comme un tapis ou une tenture ( où l’arbre de vie est souvent figuré).
La qualité de la production de chintz de la côte de Coromandel était déjà bien connue en ce XVIIIe siècle. Depuis l’établissement des Compagnies des Indes au XVIIe siècle, l`orientalisme était devenu un art de vivre pour les Européens fortunés. Ameublement, papiers peints, laques, céramiques, reflètent l’engouement pour l’Asie.

Un contraste de motifs asiatiques et européens
La composition de cette toile indienne nous étonne par son inspiration disparate : lions, chérubins, oiseaux et fleurs d’espèces variées, courtisanes chinoises à leur miroir, soldats de la Compagnie des Indes orientales, touffes de bambous, scènes érotiques, de délassement et de plaisir sino-japonaises, logis agrémentés de jardins, évocations maritimes. Ces motifs ne présentent aucun lien apparent, mais leur aspect composite confère à cette indienne une originalité singulière. Tout aussi surprenant, le tampon de la Douane « « Saint-Pétersbourg » en écriture cyrillique, daté 1772.

Le médaillon central
À distance, le médaillon crée l’illusion optique d’une étoile octogonale réalisée grâce à l’utilisation de poncifs permettant le motif géométrique.

• L’iconographie du lion
Au centre de la toile, le lion, dressé sur ses pattes arrière, est figuré de profil. Il est entouré d’une guirlande de chérubins, l`ensemble circonscrit par un motif de formes oblongues évocatrices des pétales de lotus. Sa crinière rappelle celle des lions de marbre de l’époque Ming, installés dans la Cité interdite de Pékin. On lui a attribué une origine sri lankaise, alors qu`il s’agit manifestement d`une image symbolique des Provinces-Unies, devenues Pays-Bas en 1815. En effet, sur le blason de la plupart de ces Provinces figurait un lion. Celui-ci, auquel s’ajoutera l’épée, symbole de l`indépendance nouvellement conquise en 1648, deviendra l’évocation légitime de l’État néerlandais. Les sept flèches placées dans la patte gauche de l’animal représentent sept de ses Provinces. Des lions similaires apparaissent sur les ducats d`argent utilisés par la Compagnie des Indes orientales néerlandaise, la VOC (Verenigde Oostindische Compagnie), fondée en 1602. Mais en 1726, la Compagnie décide de frapper monnaie en utilisant cette même représentation léonine. Amsterdam s`y oppose jusqu’en 1728, date à laquelle ces nouvelles pièces commencent à circuler sur le marché de l’Extrême-Orient. La devise inscrite sur ces monnaies est celle de la République néerlandaise : Concordia res parvae crescent.

• La guirlande de chérubins
Elle forme deux cercles, décor en chevron, autour du lion. Les chérubins portent un plateau de fleurs d’une main, et un bouquet de fleurs de l’autre. Huit petits insectes ressemblant à des papillons, volètent au-dessus d’eux. Le motif du papillon, typique du goût européen, existe dès le XVIIe siècle dans l’art moghol, notamment sur les bordures de miniatures. À la même période, en Europe, la présence de chérubins est attestée dans l’art baroque. Il est surprenant de les retrouver sur une toile peinte indienne, mais ils apparaissent aussi sur les palampores (toile de coton peint et teint par réserve, pour le marché européen) et les tentures destinées aux églises arméniennes, le tout fabriqué sur la côte de Coromandel.

Touffes de bambous
Quatre touffes de bambous issues de monticules de sable sur fond jaune pâle ponctuent l’encadrement du médaillon central. Elles sont encadrées de rochers de chaque côté desquels figurent des animaux sauvages ; certains paissent tranquillement, d’autres combattent. Quelques lapins tapis à leur côté jettent des regards furtifs. Deux lapins s’échappent devant un tigre occupé à dévorer une gazelle. Un tigre bondissant tient en sa mâchoire un daim, tandis qu’une gazelle au regard inquiet tente de s’échapper. Ce genre de scènes est classique dans les miniatures mogholes.
La présence récurrente de bambous dans les décors indiens peut s’expliquer par l’influence de la peinture ou du papier peint chinois, si prisés par le goût orientaliste européen en ce XVIIIe siècle. Les Européens fortunés, fascinés par l’Asie, s’entourent de laques, papiers peints, soies brodées, cotonnades, céramiques, éventails, illustrations, originaires d’Orient. En 1700, la Compagnie des Indes orientales (VOC), alors le plus grand importateur de marchandises asiatiques, possède une centaine de vaisseaux.

Ensemble d’élégantes chinoises
De chaque côté de la toile, en leur centre, figurent deux élégantes en train de se coiffer, un miroir à la main. Elles sont assises sur du mobilier chinois. Ce thème apparaît dans la collection Tapi en Inde, et dans les collections du Victoria & Albert Museum, Londres.

Scènes d’angle
Les élégantes à leur toilette sont suivies de scènes érotiques. Encadrées par un losange sur fond blanc, celles-ci illustrent les quatre coins de la composition principale. On en voit des représentations sur papier en terres islamique et chinoise.

Alignement de soldats
Une ligne continue de soldats armés sépare la composition principale de la bordure. L’uniforme et le chapeau de ces militaires ressemblent à ceux des régiments néerlandais de l’époque. L’alignement mécanique de soldats rappelle celui des toiles peintes illustrant l’ambassade de Johannes Bacherus à la cour de l’empereur moghol Aurangzeb à la fin du XVIIe siècle.

Bordure et influence japonaise
Aucune des scènes du décor de bordure n’est reliée au reste de la composition, hormis un lion à chaque angle de la toile, qui rappelle l’emblème héraldique du médaillon central. Ces dernières années, plusieurs expositions ont évoqué le commerce international entre l’Europe et l’Extrême-Orient où la Compagnie des Indes néerlandaises s’était établie sur l’île de Deshima, seule « résidence » de la Compagnie au Japon pendant deux cents ans, de 1641 à 1854. Cette petite île du port de Nagasaki fut souvent illustrée par des visiteurs européens ou des peintres locaux. On trouve des scènes de genre dont le jeu de ballon japonais (kenari) pratiqué par des groupes d’hommes vêtus d’un tissu bleu ou rouge, laissant parfois l’épaule nue, comme sur la bordure de notre toile.

Conclusion
Nous remarquons l’état de conservation remarquable de cette indienne dont la couleur de fond, jaune sable, n’a pas été altérée contrairement à la plupart des cotonnades anciennes. On retrouve cette même teinte, ainsi que la gamme complète des couleurs de toile chintz, sur les célèbres céramiques turques de Kütahya du XVIIIe siècle, dont le décor s`inspire des motifs classiques des indiennes de la côte de Coromandel.
Cet art textile témoigne de l’expertise remarquable des artisans indiens, si précis dans l’exécution de motifs décoratifs empruntés à plusieurs répertoires, indiens, chinois, japonais, européens. Les artisans s’ingénient à répondre aux commandes des Compagnies des Indes et prouvent leur exceptionnelle faculté d`adaptation à ces nouveaux marchés.

Recueil de notes par Françoise Vernes

• Yolande Crowe est spécialiste de l’histoire de l’art musulman. Elle a contribué à des articles pour l’Encyclopédie de l’Islam. En 2002, elle établit un catalogue des céramiques blanc bleu d’origine persane, de la période safavide, qui composent la collection du V&A Museum, Londres, dont elle a recensé plus de 500 pièces. Elle a beaucoup voyagé en Asie dont elle a rapporté une moisson photographique. Elle y a conduit des voyageurs intéressés par l’histoire et l’art de l’Inde.

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Du Gange, mots et images de l’eau dans l’Inde ancienne

Synthèse de la conférence donnée par Colette POGGI, indianiste.
UNESCO, dans le cadre de « L’Inde de l’eau », 7 novembre 2003.

L’eau est perçue dans l’Inde ancienne comme un élément essentiel de la vie, dans son aspect physique – le corps, le monde -, et dans son aspect subtil – la vie de la pensée, de l’esprit. Ce thème est omniprésent dans la symbolique et l’imaginaire de l’Inde ainsi que dans le monde du rite, de l’art, et de la métaphysique.

L’eau, le sanscrit, les Veda
Ces aspects seront abordés à partir du sanscrit, langue sacrée qui possède en elle-même une grande plasticité et une puissance d’expression remarquable ; en effet, pour le seul mot « eau » en français, il en existe plusieurs dizaines en sanscrit dont nous évoquerons les plus pertinents.
Dès son origine, environ deux millénaires avant notre ère, le sanscrit véhicula des textes révélés appelés Veda, « connaissance ou science ». Les Veda nous rapportent une expérience, une vision de l’homme et de l’univers dont l’un des éléments essentiels est l’eau, point de repère universel pour essayer de formuler l’énigme de l’existence. À partir de cet élément visible et palpable, s’élabore une tentative « poétique » pour penser l’existence et en saisir l’essence impalpable et inconcevable.
Unité dynamique de la vie
À travers l’eau et les cinq grands éléments cosmiques célébrés par les rishi (voyants, sages) du temps des Veda, surgit une vision unitaire, vivante, dynamique de l’homme dans l’univers et de l’univers en l’homme. L’homme et le monde sont en effet conçus comme une unité et non en termes de scission homme-univers ou matière-esprit. De même, les Upanishad, textes ultérieurs qui prolongent les Veda, célèbrent le lien originel qui unit entre eux les éléments cosmiques, et ceux-ci à l’homme. Ces éléments sont l’espace lumineux, akasha (de la racine KÂSH, resplendir), le vent, vâyu, le feu, agni, l’eau, jala, et la terre, prithivî.
La chaîne continue de la vie, depuis l’univers jusqu’en l’homme, est mise en évidence dans ce passage de la Taittiriya Upanishad : « De cette essence universelle, est issu l’espace. De l’espace, le vent. Du vent, le feu. Du feu, les eaux. Des eaux, la terre. De la terre, les plantes. Des plantes, la nourriture. De la nourriture, la semence, et de la semence, l’homme ».
Voilà exprimée une vision intuitive de l’unité dynamique de la vie qui n’est pas propre à l’Inde. Dans l’Occident antique, au IIIe siècle, le philosophe Plotin prend conscience d’un principe ultime, le principe divin, métaphoriquement assimilé à une source à partir de laquelle tout se déploie : « Imaginez une source qui a son origine en elle-même, elle alimente tous les fleuves, demeurant ce qu’elle est en essence, ainsi la vie divine est une fontaine qui jaillit d’elle-même ».
De même, en Inde, on imagine une puissance créatrice qui fulgure en elle-même à partir d’un germe, bindu en sanscrit, point ultime d’énergie, d’où surgit le déploiement cosmique. Dans la vision indienne, l’apparition de la multiplicité implique nécessairement la résorption dans ce point source. Il existe donc toujours un mouvement d’harmonisation et d’intégration qui comporte expansion, contraction, déploiement, reploiement.
L’eau, origine cosmique
Parmi les grands éléments cosmiques, l’eau joue, au cours du riche développement philosophique de l’Inde, un rôle significatif dans l’interrogation de l’homme sur l’univers : qu’est-ce que l’existence ? Quelle est son origine, sa nature, son sens.
Le plus ancien texte connu de la révélation indienne, le Rig Veda (IIe millénaire avant notre ère), donne un aperçu très vivant de ce questionnement :
« Il n’y avait alors ni l’être, ni le non-être, ni le ciel, ni le firmament, ni rien au-delà. Où reposait tout ce qui est ? Y avait-il l’eau abyssale, l’eau sans fond ? Ni la mort ni la non-mort n’existait alors. Point de signe distinguant la nuit du jour. L’Un respirait sans souffle, mû de lui-même. Rien d’autre n’existait. A l’origine les ténèbres couvraient les ténèbres, et tout ce que l’on voyait n’était que l’onde indistincte ».(10, 129)
Ce texte fait de l’eau un symbole de la trame primordiale, sous-jacente à toute la multiplicité qui va surgir ; ce principe se situe au-delà du temps, de l’espace, et constitue une dimension transcendantale à laquelle l’homme peut s’ajuster, en s’inspirant de la métaphore de l’eau.

La thématique de l’eau se déploie en une multiplicité de mots sanscrits et d’images, qui trouveront peut-être encore un écho en nous. Rappelons que le français est un rameau du sanscrit, considéré comme la sœur aînée des langues indo-européennes. On peut s’étonner de la résistance du sanscrit à l’usure du temps. Il faut rendre hommage à ce véhicule linguistique extraordinaire qu’est le sanscrit, considéré dans la tradition hindoue, non comme une langue d’origine humaine qui se serait développée et transformée comme le français, par exemple, mais comme une langue sacrée révélée aux hommes par les dieux. Il constitue un outil linguistique particulièrement malléable, précis, vivant. Comme pour une sculpture, on peut, à partir d’une racine verbale en modifier le sens avec un préfixe, un suffixe ; aujourd’hui encore, en Inde, on crée des mots sanscrit pour nommer telle nouvelle réalité découverte dans le domaine des sciences.

Dans le contexte hindou, la symbolique de l’eau s’exprime de différentes manières :
l’eau, puissance de vie et puissance cosmique qui donne naissance à la manifestation.
L’eau dans laquelle se dissout tout l’univers à la fin des cycles.
L’eau en tant que mouvement.
L’eau vivante et l’eau sonore douée de résonance.
L’eau en tant que transformation, voie de passage vers un au-delà des formes apparentes.
L’eau qui véhicule les éléments.

Le Gange : figure mythique d’un axe de vie cosmique

On ne saurait évoquer le thème de l’eau en Inde sans au préalable nommer le Gange, l’une des plus grandes figures de la mythologie indienne. À lui seul le Gange rassemble ces multiples aspects de l’eau.
En sanscrit, le Gange est féminin (Gangâ), comme la plupart des mots qui expriment une énergie (cf. shakti).
Il existe une double étymologie dans la syllabe ga qui signifie « celle qui va » et « celle qui chante » : dans le mouvement s’exprime ainsi la musicalité du fleuve.
Quelle est la véritable nature de Gangâ ?
C’est un fleuve terrestre mais aussi cosmique, qui suscite aujourd’hui encore une grande ferveur. Le Gange est souvent évoqué comme mâtâ Gangâ, Gangâ la mère, ou Ambhâ qui signifie aussi la mère.
Le Gange a marqué si profondément la civilisation de l’Inde qu’elle est désignée comme la civilisation du fleuve. Géographiquement, le Gange prend sa source dans l’Himalaya, la demeure des dieux, et plus précisément au cœur d’un glacier nommé Gangotri, haut lieu de pèlerinage et d’ermitage. Puis, le Gange déroule ses 2 700 km dans un bassin vaste comme deux fois la France, pour se jeter dans le golfe du Bengale. Mais il ne se limite pas à ce parcours terrestre, car selon le mythe, Gangâ, la déesse-Fleuve jaillit du ciel. Elle est en effet conçue comme un fleuve cosmique, au triple cheminement, car elle traverse le ciel, la terre puis s’enfonce dans les espaces souterrains.
Deux mythes évoquent ce triple cheminement.
Le premier raconte que Gangâ fut envoyée pour sauver les fils de Sagara (océan), retenus aux enfers. Elle accomplit donc ce chemin dans un but salvateur. Elle est l’axe médiateur qui sans cesse parcourt le ciel, les profondeurs souterraines, et revient à la source.
Le second raconte qu’il advint sur la terre une immense sécheresse qui provoqua une famine sévère et mit l’humanité en danger. Alors la déesse Gangâ fut choisie pour venir sur terre et lui redonner vie. Malheureusement, en vertu de sa puissance, on savait que si Gangâ descendait directement du ciel sur la terre, la masse de ses eaux serait dévastatrice et non bienfaisante. Ambivalente, l’eau peut aussi bien régénérer que détruire. De ce fait, Shiva, le grand danseur cosmique qui déploie l’univers par son rythme, proposa de laisser tournoyer le Fleuve divin pendant mille ans dans les boucles de sa chevelure pour amortir la chute et lui permettre de dispenser ses bienfaits. Shiva accomplit ainsi son rôle de divinité de la transformation en faisant d’une énergie première ou brute, une énergie bienfaisante et vivifiante.

Le Dravadrikvijnana dédie une strophe aux vertus de l’eau et plus particulièrement du Gange sous forme d’eau de pluie issue du ciel. En effet, cette eau qui sauva la terre n’est pas tombée une fois pour toutes. Elle revient sans cesse, et évoque ainsi une conception du temps cyclique. Le mythe est toujours actif et actuel.
« Celle qui vivifie, qui fortifie le cœur, qui rafraîchit, qui stimule la pensée, celle si subtile au goût imperceptible, légère et douce, très digeste, pareille au nectar, telles sont les qualités essentielles de Gangâ Ambhu (eau du Gange), l’eau de pluie tombée du ciel, imprégnée des rayons du soleil, de la lune et du vent, mais elle peut être favorable ou non selon la région et la saison ».
Ce texte évoque les vertus de l’eau en tant que remède, mais il constate aussi l’ambivalence de l’eau, selon le lieu et le moment.

Le Gange, figure mythique, apparaît dans la tradition hindoue comme la nature ultime de l’eau sous toutes ses formes, dans un puits, dans un bassin sacré, dans un ruisseau, dans un fleuve, dans un lac. Le Gange est comme une essence présente, à la vertu purificatrice : celui qui s’immerge dans le Gange est lavé de toute souillure et peut parvenir à la délivrance.
Pour résumer, le Gange incarne les trois qualités suivantes de l’eau : puissance de vie – puissance cosmique, eau mouvante – eau vivante, eau sonore, eau puissance de transformation, thèmes que nous allons maintenant aborder à partir des mots de l’eau et des racines sanscrites.

Mots et images de l’eau

Eau cosmique – eau puissante
Eau cosmique
L’eau contient en germe toute vie. Selon les Purana, « Textes immémoriaux » (anciens), Vishnu, divinité qui préside à la conservation de l’univers, repose entre deux manifestations cosmiques sur les eaux primordiales, océan sans limite. Il est allongé sur un serpent appelé ananta (infini) ou shesha (vestige). Selon la vision hindoue du temps et des cycles cosmiques, lorsque l’univers se dissout, il ne disparaît pas totalement. Il demeure un vestige ou résidu qui constitue le germe, le code génétique, des univers qui suivront. Ce serpent symbolise les vestiges qui créeront de nouveaux univers. À l’aube de chaque création cosmique, une tige de lotus jaillit du nombril de Vishnu : à partir de l’horizontalité, apparaît une image de verticalité, et dans ce lotus se trouve un œuf cosmique, un embryon d’or dans lequel Brahma, le principe créateur « rêve » le monde, l’imagine et le suscite par la puissance créatrice de son esprit.
L’eau est donc première. Avant que toute manifestation n’advienne, il existe un principe originel, au-delà du temps et de l’espace : l’océan primordial où repose Vishnu.
Ce thème est repris dans un autre passage extrait de la Taittiriya Upanishad avec la notion d’aditi, illimité, qui est aussi perçu comme une onde :
« L’Un se mouvait sans souffle, mû de lui-même ». Cet Un « ondoyant » fait fonction de matrice cosmique.
Les Tantra, textes ultérieurs, évoquent la matrice vibratoire de l’univers en laquelle toute réalité vient s’inscrire, telle une vague dans l’océan.
« En l’onde illimitée, plus vaste que l’immense, sur le dos du firmament, au milieu de l’univers ayant de sa splendeur pénétré les lumières, Prajapati dans l’embryon se met à l’œuvre. Par les eaux se diffusent ainsi sur la terre tous les êtres vivants ».
Dans ce verset védique, on retrouve la métaphore de l’eau illimitée et de cet infini indifférencié. Un principe organisateur fera surgir l’infinie multiplicité des êtres. Au crépuscule de l’univers, de ce déploiement cosmique, tout se dissoudra de nouveau dans l’eau illimitée (aditi), infinie, pour resurgir.
Eau puissante
Le nom apa, l’eau en sanscrit, vient de AP, verbe qui signifie gagner, atteindre, pouvoir, avoir puissance sur. De cette racine dérive le latin aqua, eau, mais aussi hava en gothique, hafa en haut allemand, ope en lituanien. AP est également passé dans le latin à travers le mot sanscrit apnis qui a donné amnis d’où amniotique.
La racine TU qui signifie être puissant, être fort, a généré les mots tuyam ou toyam (eau) qui ont donné en français total ou tumescence, comme une force en expansion.
La racineVR qui signifie recouvrir, submerger, a donné des mots de l’eau tel vari, urmi ou encore Varuna, divinité très ancienne du panthéon védique, qui relève des puissances aquatiques et incarne la loi cosmique, le dharma, la loi du bon ordre des choses. Varuna est le dieu lieur et délieur, qui lie, ligote quiconque enfreint l’ordre de l’harmonie cosmique, mais il délie aussi et délivre ceux qui sont au diapason de l’ordre cosmique.
Enfin la racine JAL (jala = l’eau) signifie être riche, couvrir.

Autre aspect de l’eau : sa puissance régénératrice.
L’eau représente une force immanente dans la sève des plantes puisqu’elle irrigue toute la vie végétale, ce qui est exprimé de façon imagée dans les hymnes à l’eau du RigVeda.
« Vous les eaux qui réconfortez, apportez-nous la force, la grandeur, la joie, la vision. Souveraine des merveilles, je vous demande remède. Vous les eaux, donnez sa plénitude au remède afin qu’il devienne une cuirasse pour mon corps et qu’ainsi longtemps je puisse voir le soleil. Vous les eaux, emportez le mal que j’ai commis ».
L’eau est donc un remède à la fois pour le corps et la vie de l’âme. Cette approche offre un exemple de la conception d’une continuité corps-esprit dans la pensée de l’Inde.

La Brihad Aranyaka met en évidence le lien intime, substantiel, entre la vie et l’eau :
« Les eaux sont miel pour tous les êtres, et pour les eaux tous les êtres sont miel », le miel étant conçu comme une substance nutritive par excellence.

  • Eau vivante –sonore

La racine sanscrite SR qui signifie ruisseler, s’écouler, a donné ces mots bien connus : sara, l’écoulement du fleuve (samsâra, fleuve du devenir, ruissellement de l’existence, non seulement dans l’espace d’une vie, mais bien au-delà parce qu’il s’agit du « retour » dans le cycle infini des existences) ; sari, la rivière, le Gange par excellence, et le vêtement fluide dont se revêtent les femmes ; Sarasvati, déesse du flot de la parole et, à l’origine, la déesse des rivières.

L’eau symbolise également l’éphémère de toute existence.
« La vie, une goutte de rosée, une bulle à la surface de l’eau, un torrent qui dévale la montagne emportant tout sur son passage, la trace faite par un bâton dans l’eau », dit l’Anuttara Nikaya, texte bouddhique.
Un autre texte du bouddhisme ancien, exprime la même prise de conscience : il évoque la vie comme une rivière impétueuse et profonde, dont les deux rives sont glissantes et le milieu insondable.

La racine UND a donné onde, ondoyer, hydre, hydrographique.
VARSH qui signifie verser a donné le mot varsha : la pluie et les moussons, mais aussi celle qui verse, le Gange qui s’écoule sur la terre et qu’il est important d’évoquer afin de le rendre propice et qu’il ne dévaste pas la terre et les moissons par son puissant déferlement.
De NAD, qui signifie résonner, dérive nada, le son mais aussi nadi, les rivières. NAD et NAND ont une étymologie commune, or NAND signifie se réjouir (ananda, béatitude). De fait, le concept de joie est très présent dans la métaphysique de l’Inde puisque l’absolu est conçu comme « être, conscience et béatitude », sat cid ânanda.
Un passage du Matsya (poisson) Purana met au premier plan la joie en évoquant le Gange : « Les dieux t’appellent la réjouissante, le parterre de lotus, la procréatrice, celle dont le corps est l’univers, l’immortelle, la bienfaisante, la protectrice du savoir, la très apaisante, voilà tes saints noms ». Nand exprime la joie à l’instar du murmure de l’eau, toujours joyeux.
Eau-passage
L’eau, en tant que passage et métamorphose, fait passer au-delà de ce qui est en mouvement, et ramène à la source de la vie. Le rite y contribue. Cela est exprimé par tîrtha, le gué sacré, qui vient de la racine TR, traverser, qui a donné dans les langues qui nous sont proches, tra, trans. L’hindou se recueille dans l’eau, s’immerge dans l’eau. Il se réapproprie la puissance de vie originelle, une fois immergé dans le Gange. Trois images sont à retenir dans la métaphysique de l’Inde, sur ce thème de l’eau comme passage et surtout de passage survenant à l’intérieur de soi-même vers une métamorphose :
– La remontée vers la source, c’est-à-dire coïncider avec son origine.
– Le passage vers l’autre rive, qui signifie surmonter, passer au-delà des tourbillons de l’existence.
– Le fleuve qui se jette dans l’océan pour retrouver l’unité, une fois les multiples courants fondus dans une même eau.

Conclusion
Il est toujours étonnant de découvrir comment des textes plusieurs fois millénaires ont pu formuler de façon si intuitive et imagée le mystère de la vie. À travers l’élément « eau », métaphore de la vie sous tous ses aspects, positifs et négatifs, l’Inde ancienne conçoit l’univers comme une globalité, et prend conscience du cycle cosmique de l’eau. Ainsi l’eau relie le mythe et la réalité.
En conclusion de ce bref parcours parmi les mots et images de l’eau, citons le terme sanscrit rahi signifiant à la fois le trésor, l’eau, l’humidité, le suc et le nectar, et rassemblant aussi toutes les vertus du Gange, figure mythique essentielle de l’Inde.

Recueil de notes par Françoise Vernes

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La Bhagavadgîtâ, pour une lecture philosophique

Synthèse de la conférence donnée par Marc Ballanfat, enseignant en philosophie
Centre André Malraux, 26 novembre 2007

Fragment de l’immense épopée du Mahâbhârata, la BhagavadGîtâ, le « Chant du Bienheureux », dialogue de sept cents strophes (composé entre le IIIe et le IIe siècle avant notre ère ?), tente de résoudre une impasse éthique : comment réconcilier l’acte sacrificiel – celui de la guerre en l’occurrence – et le renoncement à la violence qu’il contient.
Cette œuvre unique a influencé nombre de penseurs et d’hommes illustres. Gandhi y découvrit deux vérités religieuses dont il fera les armes de son combat politique : la non-violence « active » et l’égalité des hommes devant Dieu.
Auteur d’une nouvelle traduction de la Bhagavadgîtâ (Flammarion, Paris, 2007), Marc Ballanfat nous fait part de ses réflexions.

À l’époque de la Bhagavadgîtâ, les écoles de philosophie indienne sont en voie de se constituer. Riche en spéculations religieuses, éthiques, philosophiques, le Mahâbhârata est un laboratoire de pensée. Mais rien ne prédestinait la Gîtâ, petit épisode du Mahâbhârata, à devenir un grand texte de la philosophie indienne. Or sa théorie de l’acte a eu un retentissement immense dans la culture indienne.
Que signifie agir et non-agir ? L’agir est entrepris dans le renoncement. Le renoncement prend un sens actif (svadharma, ce qui nous incombe) car il est lié aux actes (svakarma, l’action prescrite à chacun) : il s’agit d’agir en se détachant, libre de tout désir de bénéfice personnel. La norme (dharma) du renoncement aux fruits des actes se substitue ainsi à l’ancienne loi des actes rituels, la rétribution, présente en particulier dans les sacrifices.

Le mot yoga en sanscrit, terme qui comporte le plus d’occurrences dans la Gîtâ, tiré du verbe juj, signifie attelage, union, jonction, moyen, application, discipline. Nous le traduisons par ascèse, translitération du grec askèsis (exercice, discipline, pratique, manière de vivre. Cf. Plotin et les stoïciens). Concept à différencier de l’ascétisme (la pratique des austérités, tapas en sanscrit), qui est l’exacerbation de l’ascèse pratiqué dès les Veda, mais une notion étrangère à la Gîtâ. Le yoga ou l’ascèse, selon le sens grec de s’exercer, est la voie du renoncement (samnyâsa). Cette voie est triple : le jñana yoga (faire de la connaissance elle-même une ascèse), le karma yoga (faire de l’action une ascèse) et le bhakti yoga (faire de la dévotion une ascèse).

jñana yoga
La connaissance demande une ascèse : il faut une discipline personnelle pour accéder à un certain niveau de connaissance. Alors que la philosophie en Occident est devenue une activité cérébrale qui n’engage pas la manière de vivre de celui qui s’y adonne, en Inde, la connaissance n’est jamais conçue comme une pure activité intellectuelle, spéculative, détachée de toute pratique. Si l’on veut se libérer par la connaissance, il faut une discipline personnelle qui soit éprouvée par une forme d’expérience sur soi (jñana yoga).
Dans la Gîtâ, le terme buddhi (dont la racine budh signifie s’éveiller) représente la connaissance, le jugement, la pensée. Pour l’Occident, il s’agit d’un processus cérébral qui met en jeu un certain nombre de concepts, un discours intérieur, une introspection dont on est le témoin. Pour un Indien, penser signifie s’exercer. La pensée est un effort qui engage l’être en son entier, pas seulement l’intelligence au sens étroit du terme. Ce processus demande du temps et nécessite un engagement : l’épreuve d’un parcours personnel, seul moyen pour se sentir libéré (moksa). De quoi essaie-t-on de se libérer ? Des illusions, de l’ignorance, de la peur, de l’angoisse. L’ascèse conduite par la pensée (buddhi) est une voie qui nous en délivre.

karma yoga
Une forme du karma yoga consiste à obtenir la délivrance par la pratique physique des postures en exerçant le contrôle du souffle (pranayama).
Une autre façon, plus essentielle, de comprendre le karma yoga est d’amener l’ascète à se délivrer de l’illusion d’agir librement. L’homme croit être l’agent de ses actions, alors qu’en réalité, il n’en est que l’instrument. Ce sont les qualités naturelles (guna) qui agissent en nous. On ne peut agir en se détachant de ses actes tant que l’on pense en être l’auteur. Une troisième façon de pratiquer le karma yoga est de se libérer des désirs imaginaires artificiels, des passions (cf. les stoïciens).

bhakti yoga
Cette troisième voie est celle de la dévotion, bhakti, de la racine bhañj, partager, donner.
Faire de la dévotion à un dieu, nommé ici « Bienheureux » est aussi un chemin vers la délivrance.

Il n’y a pas de voie privilégiée. On ne peut démontrer rationnellement que l’une serait supérieure à l’autre. L’intention du texte n’est jamais d’exclure mais d’inclure. En Inde, les formes coexistent. Contrairement à la logique aristotélicienne qui affirme qu’entre deux énoncés contradictoires, l’un des deux est nécessairement faux.

La Bhagavadgîtâ est-elle un poème mystique ?
Rien n’est plus étranger à ce texte que l’idée d’une voie mystique qui mènerait à une sorte de fusion, une union extatique de l’âme avec Dieu.
L’expérience mystique est contrôlée, disciplinée ; il existe pourtant un plan mystique que l’on peut comprendre de 3 manières :
1. Une mystique de l’absolu dont Shankara sera le grand interprète au VIIIe siècle, dix siècles après la composition de la Gîtâ. Le renonçant sur la voie de l’ascèse, comprend et éprouve qu’il ne fait plus qu’un avec tous les êtres : l’absolu brahman se trouve en soi, âtman. Il ne s’identifie plus à son moi. Il a une conscience de soi, qui n’est pas réfléchie (Descartes), qui le déprend de lui-même.
2. Une mystique du divin qui se rapproche du bhakti yoga. Quand on comprend qu’une forme de puissance supérieure nous fait agir, on remet tous ses actes au divin.
3. Une mystique du non agir : on peut être dans le non agir tout en continuant à faire des actes, à condition d’agir en renonçant à tout bénéfice personnel.

Le message de la Gîtâ est peu à peu entré dans la culture indienne jusqu’au message de Gandhi (ahimsâ, la non-violence) qui en a fait son grand livre de combat. La Gîtâ propose un non-agir (agir dans l’esprit du renoncement) que l’on trouve dans la non-violence, ahimsâ. La violence naît du désir contrarié. S’en détacher élimine donc la violence en l’homme, surtout si celui-ci répond à la nécessité d’agir. Celui qui s’exerce au non-agir (agir en renonçant aux fruits ses actes) pratique à sa manière l’ahimsâ, la non-violence « active ». Là réside l’originalité de la Gîtâ car, à cette époque, personne ne formulait le non-agir en ces termes, et aussi clairement.
Ce texte réapprend que philosopher n’est pas seulement une façon de spéculer mais aussi une façon de pratiquer sa pensée.

Recueil de notes par Françoise Vernes

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Autour de mâyâ : les neurones

La conférence de Jean-Pierre Luminet, astrophysicien, sur la mâyâ cosmique (conférence du lundi, 27 novembre 2006) a provoqué une réponse de Lucien Kehren, docteur es sciences, qui a bien voulu nous communiquer ses propres réflexions.

Autour de mâyâ : les neurones

Je pense que nous sommes assez différents des manifestations de la nature car nous sommes de l’essence universelle du cosmos dont la nature n’est qu’une des particularités.
J’évoquerai un symbole même de l’espèce humaine qui est le chiffre 3. L’espèce humaine ne peut être que 3, le mâle, la femelle et l’enfant. S’il n’y a pas l’enfant il n’y a pas l’espèce. La vie s’impose en 3 phases pour l’homme : naître, vivre, mourir. Les 3 coups, les 3 notes de la 5ème symphonie ont une puissance extraordinaire bien qu’extrêmement simple. Beethoven disait que c’est le destin qui frappe trois fois à la porte.
L’eau se trouve sous trois formes dans la nature : la forme solide, la glace et la neige, la forme liquide, l’eau, et la forme gazeuse, la vapeur. Mais aussi la vie repose sur l’eau et l’eau est formée de 3 atomes H2O, deux d’hydrogène et un d’oxygène. Si l’on fait le calcul par numéro atomique, l’hydrogène est représenté par 1, et l’oxygène par 16 ; donc on a H2, ce qui fait 2, plus l’oxygène, 16, ce qui fait 18, et 18 c’est 2 fois 9, c’est donc aussi un multiple de 9. Les formules qui correspondent à des mouvements d’électrons sont aussi un multiple de 9.
D’autre part, dans la nature, il existe trois règnes, animal, végétal et minéral. La plupart des religions ont trois dieux, trois formes, même notre religion chrétienne. Pourquoi a-t-on pensé qu’il y avait Dieu le père, Dieu le fils et le saint-Esprit, alors que dans l’enseignement du Christ il n’en est pas du tout question ? Il a fallu trouver l’existence d’un père, d’un fils et d’un saint-Esprit alors que celui-ci n’est finalement que l’émanation de la pensée de celui qui est le père et le fils à la fois. C’est bien un comportement de la psychologie humaine de ramener tout au chiffre 3. Le comble du bonheur chez les Mongols c’est le 9, c’est à dire 3 fois 3, qui est encore plus exaltant que 3.

On a dit pendant des siècles que le monde était constitué de quatre éléments : la terre, l’eau, l’air, le feu. À la lumière de la science moderne, on peut affirmer que cette conception est une erreur ; il n’y a que trois éléments : la terre, l’air et l’eau. En effet, le feu n’est qu’une oxydation ou une incandescence de matières en provenance de ces trois éléments, déclenchée par une énergie extérieure, thermique ou choc. Les éléments disparaissent quand le combustible est épuisé : les gaz rejoignent l’air, les cendres des matières organiques ou minérales rejoignent la terre, et l’eau en vapeur (ou dissociée en hydrogène et oxygène) retourne à l’eau. Quand il s’agit de matières organiques, le feu n’est que le résultat d’une oxydation du carbone qu’elles contiennent. Quand il s’agit de matières minérales (carbonates ou oxydes), la force des calories, (par exemple dans les volcans) les décompose en corps simples, ou nouvellement composés suivant les lois atomiques de la chimie, dont tous rejoignent la terre ou l’eau. Il ne reste donc plus rien de l’élément feu, d’autant que les calories qui le représentent sont en réalité des ondes infra-rouge qui s’éloignent dans le cosmos.

Pour faire un corps vivant, si petit soit-il, il faut trois éléments basiques : du carbone, de l’oxygène et de l’hydrogène. Mais surtout, rien ne peut se faire sans l’eau. L’eau est nécessaire à la vie. Pour toutes ces combinaisons dont on a parlé, il faut que la molécule d’eau soit présente pour que les échanges nutritifs se passent, ainsi que l’élimination des déchets et les transmissions d’énergie. même si des formes de vie vont apparaître avec d’autres éléments, comme l’azote, le phosphore, le cuivre etc, car il faut que tout soit relié par l’eau.

Nous sommes constitués par plus de vide que de matière, car les liaisons dans la matière ce sont aussi des petites particules douées d’énergie. Cette énergie entre en contact avec d’autres énergies provenant d’autres objets. Donc, entre les objets, il y a toute cette profusion d’énergie qui fait que la partie qui nous semble vide est en réalité remplie d’énergie, et beaucoup plus importante que les parties matérielles elles-mêmes. Ainsi un corps vivant contient peu de matière par rapport à ce qu’on appelle le vide, mais qui n’est pas le vide. Ce sont des énergies qui permettent toute existence. Le vide n’existe pas et ne pourrait exister que s’il n’y avait pas le temps. Le vide deviendra possible lorsque le temps de constitution de toute chose s’arrêtera. S’il y a du temps, rien n’est vide. Le temps lui-même étant un symbole d’énergie. L’évolution est toujours une source et une dépense d’énergie, et puisque le temps évolue dans notre conception, c’est de l’énergie, et si tout s’arrête, c’est qu’il n’y a plus de temps. S’il n’y a plus de temps, rien ne peut exister, puisqu’il faut du temps pour que quelque chose existe.

Nos sens d’observation sont très grossiers, nous ne voyons que des ensembles, mais nous avons inventé des instruments. Donc, prenons un microscope électronique et regardons un morceau de peau qui nous paraît bien solide. On s’aperçoit que ce morceau de peau est formé de molécules et d’atomes qui se trouvent, à leur échelle, à de grandes distances. Mais le phénomène le plus remarquable est l’énergie, parce que ces substances dont on vient de parler ne cessent de tourner sur elles-mêmes, d’échanger des énergies entre elles. Rien n’est immobile, tout est en mouvement.. L espace entre la terre et les planètes est rempli par l’énergie émise par le soleil, cette énergie qui nous fait vivre alors que nous ne cessons de tourner sur nous-même et le soleil sur lui-même, lui-même appartenant à une galaxie qui tourne aussi dans l’espace.

Le vide intérieur que nous formons dans notre esprit peut exister, mais c’est un autre aspect des pensées, lesquelles sont indéfinies. Et on ne peut pas dire que l’on remplace une pensée par une autre parce que l’on ramène tout à l’anthropomorphisme : on voit de l’eau qui s’écoule, une pierre que l’on jette au loin, tandis que rien de tout cela n’existe en réalité, ce n’est que l’expression de l’échange d’énergie. L’énergie elle-même est devenue pour nous un grand mystère depuis la physique quantique, puisque de temps en temps ces petites particules se transforment en ondes, en vibrations. A l’observation, ces vibrations, de temps en temps, se retransforment en matière, mais pas à l’endroit où on pense qu’elles doivent se trouver, ce qui fait que la physique quantique est la barrière des connaissances humaines. On pénètre là au plus profond, dans la plus petite partie de la matière pour essayer de la comprendre et rien ne dit qu’il n’y ait encore plus petit. Notre connaissance dépend des appareils que nous avons fabriqués pour supplanter la sensibilisation de nos connaissances par nos sens trop grossiers. On ne sait pas par rapport à quoi cela existe, ce qui veut dire que nous ramenons toujours tout à nous-mêmes.

Notre pensée n’est que l’émanation de quelque chose qui se passe dans le corps, dans notre cerveau. C’est un phénomène physiologique qui se produit, et qui représente pour nous une pensée, ce qui signifie que la pensée ne naît pas de rien. Elle naît d’une action, d’un mouvement physiologique qui se produit dans ces milliards de neurones que nous avons dans notre cerveau. Ce sont ces neurones qui font tout et qui s’assemblent d’une certaine façon, dans un certain groupe et qui émettent quelque chose que nous transformons en pensée. Mais en réalité ce n’est pas la pensée elle-même. La pensée est la conséquence d’une action physiologique, microscopique, à l’échelle des neurones. Le doute est même la lumière. Nous n’avons pas de lumière en nous. Cela n’existe pas. La lumière est formée de radiations venant du soleil. Il y a le rouge, le bleu, l’orange… qui en se mélangeant donnent du blanc. Les neurones nous font interpréter des choses qui n’existent pas en réalité, mais qui étaient inscrites sous d’autres formes, dans d’autres neurones et dont la combinaison fait croire que telle chose existe. On peut très bien avoir une vision et qu’il n’y ait rien eu du tout. Les neurones, de temps en temps, se mettent à travailler un peu en désordre, pendant notre sommeil. Pendant que nos cellules grises se reposent, certains neurones se mettent à s’agiter et nous font voir des objets, des personnes, entendre des voix dans notre sommeil, qui n’ont jamais existé. Les neurones restituent certaines phases de choses déjà vues et les construisent avec des objets, des formes, des personnes qui en réalité n’ont jamais vraiment existé mais qui sont la combinaison des empreintes qu’avaient gardées les neurones, le souvenir de choses vues, entendues, etc. C’est la raison pour laquelle nous avons des milliards et des milliards de neurones, plus nombreux que tous les astres détectés dans l’univers. On dit d’ailleurs qu’à l’approche de la mort, on revoit sa vie, ce qui prouve que tout est enregistré dans les neurones. Nous oublions des choses et puis vingt ou trente ans après nous nous en souvenons à nouveau avec des détails. C’est toujours là, mais il n’y avait plus la communication avec les neurones qui sont en exercice et qui nous permettent de vivre normalement notre vie sur terre. Les neurones qui constituent le stock de réserve conservent tout ce qui s’est passé dans notre existence et sont capables de temps en temps d’en restituer un ensemble, une partie, un détail, de manière spontanée. Il est possible d’imaginer qu’en dehors des neurones visibles grâce aux microscopes électroniques, il existe des neurones que l’on pourrait qualifier de nature spirituelle ?

On a essayé de fabriquer naturellement du vivant en laboratoire où l’on mettait tout ce qu’il fallait comme gaz, produits organiques… On a fait passer des énergies électriques, des rayons X, etc. dans l’espoir de fabriquer au moins un virus, la chose vivante la plus simple qui soit. On n’a jamais pu. On ne sait pas comment la vie est venue ni comment elle se transmet. Quand elle s’arrête, que devient l’énergie ? Elle disparaît pour nous dans le milieu matériel, mais dans l’idée d’une substance générale, elle retourne dans un milieu qui est celui de l’énergie spirituelle. Nous ne savons pas ce que devient la force de la vie lorsque le corps se décompose. On peut imaginer une réincarnation. C’est une énergie qui n’est pas du domaine de nos énergies à nous, c’est-à-dire qu’elle s’en va et n’a plus rien à voir avec nous. Les êtres qui naissent reçoivent de cette énergie, mais celle-ci n’a rien à voir avec nous et avec nos connaissances. C’est de l’énergie pure. Ce qui fait que l’on ne peut se rappeler vraiment qui on était autrefois, bien qu’il y ait des phénomènes assez curieux. J’ai vu l’autre jour un jeune prodige de quatre ans jouer du Chopin de telle façon que l’on peut imaginer une réincarnation du compositeur. Mais tout cela est du domaine des neurones. On n’a aucun moyen de mesurer ces choses-là. Il faut se résigner et croire.

Quand la vie s’en va, les composants de l’organisme détruits, probablement, les neurones retournent dans la nature et participent à nouveau au cycle, sans se souvenir de leur origine. L’origine est notre mémoire et celle-ci est un ensemble de neurones, mais quand ceux-ci ne sont plus reliés entre eux, la mémoire disparaît. c’est seulement l’union de ces neurones, les liens qui existent entre eux par les synapses qui provoquent telle ou telle réaction, telle ou telle image, pouvant amener le souvenir. Pour pouvoir agir, il faut qu’il y ait un lien de l’un à l’autre, et c’est le lien qui transmet l’énergie vitale, mais quoi, qui est celle-ci ?

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Enigmes de l’eau

Synthèse de la conférence donnée par Lucien Kehren, docteur es sciences
UNESCO, le 7 novembre 2003, dans le cadre de « L’Inde de l’eau ».

Pour combattre la pollution de l’eau qu’il a lui-même provoquée, l’homme a créé à partir de nos techniques de transport et de traitement de l’eau, de nouvelles altérations dans l’environnement qui sont autant de casse-tête, autrement dit des énigmes.

Première énigme : le devenir des plastiques des récipients.
L’énigme ne concerne pas directement l’eau mais son contenant : les bouteilles jetables en plastique que l’homme a conçues en vue de transporter l’eau commodément sans vouloir prendre en compte leur danger pour l’environnement. Les eaux minérales sont bienvenues pour les populations assoiffées mais les matières plastiques qui composent les bouteilles représentent à long terme une grave menace pour l’écologie. Elles sont imputrescibles, résistantes, imperméables. Les bactéries et les animaux sont incapables de les consommer. Ces matières plastiques sont composées en grande partie de substances tirées du pétrole, l’éthylène, le propylène et parfois même le chlorure de polyvynil.
Ces matières plastiques sont transparentes et on peut les mouler en forme de bouteilles légères, imperméables, résistantes aux chocs, aux agents chimiques et aux microbes. Leur emploi est très préoccupant dans la mesure où il s’agit de bouteilles jetables. Donnons un exemple : par rapport au litre d’eau transporté le poids moyen de plastique utilisé est de 26g, et pour une ville moyenne de 100 000 habitants, cela donne 5 millions de bouteilles, soit 130 tonnes de plastique à éliminer par an. Pour chaque million d’homme cela produit 260 tonnes de matières polymérisées à éliminer chaque année et ce chiffre est en constante augmentation. Pour plusieurs années, à l’échelle mondiale de plusieurs millions de consommateurs potentiels, l’homme aura à affronter la présence stagnante de milliards de tonnes de plastique. Notre société de consommation tente par le tri de séparer les bouteilles pour les recycler en objets divers, mais les différences de composition du plastique en limitent l’application, ainsi que la rareté relative et le coût des usines de traitement, ainsi que les difficultés de ramasser et d’acheminer les bouteilles. Notons que le recyclage n’est que le passage du plastique d’une forme à une autre, car les molécules du plastique continuent à être présentes et à s’accumuler inexorablement dans la nature pendant plusieurs centaines d’années. On a essayé de détruire les matières plastiques par incinération. C’est un grave danger pour l’environnement : les molécules de plastique composées d’atomes d’oxygène, d’hydrogène, de chlore, mais surtout de carbone, sont défaites par le feu en gaz d’effet de serre et le chlore pourra altérer la couche d’ozone. L’élimination des récipients d’eau potable en plastique est donc une énigme pour la société.
L’Inde est en voie d’accéder au train de vie moderne de nos pays industrialisés. Ses habitants sont aussi tentés de plus en plus par l’emploi si commode en apparence des bouteilles d’eau jetables en plastique. Souhaitons que les Indiens envisagent sans trop tarder de ne pas imiter notre imprévoyance. Pour l’instant il n’y a pas encore de solution valable pour les éliminer. La seule chose que l’on pourrait faire actuellement : ne plus se servir de bouteilles en plastique bien sûr et essayer de trouver un modèle de bouteille en fibre végétale imperméabilisée. Mais bien entendu cela coûtera beaucoup plus cher, puisqu’à l’heure actuelle les matières plastiques sont faites à partir des résidus du traitement du pétrole.

Deuxième énigme : épuration = pollution

Les eaux usées des agglomérations sont dirigées vers des stations de traitement, lequel est généralement biologique. Les eaux usées sont mises en contact avec des micro-organismes aérobies qui décomposent les molécules des déchets. Au bout de quelque temps, des boues précipitent et l’eau qui surnage est dirigée vers un autre bassin. De là elle est évacuée à travers un tamis naturel fait avec des petites pierres, du sable ou un grillage. On a ainsi de l’eau propre traitée par voie biologique, mais les boues qui sont tombées au fond du bassin, que deviennent-elles ? Où sont passés ces polluants ? Ils sont là et il faut les estimer à leur importance : pour une agglomération équipée d’un modèle courant de ces stations, la production en boue fraîche correspond à environ 0, 26 kg par habitant et par jour, et contient 87% d’eau. Il faut la déposer sur un terrain drainé où l’eau en excès s’écoule, afin qu’elle ne contienne plus que 60% d’eau parce que c’est à cette consistance qu’on peut la déplacer. Elle va laisser échapper par personne et par jour 0, 125 kg de liquide. Prenons pour exemple une ville de 100 000 habitants qui devra évacuer par jour 26 tonnes de boue fraîche, soit 9 990 tonnes par an, et laissera s’écouler un jus infect de 12m3 500 par jour. Que faire des 4 000 tonnes annuelles de boue partiellement séchée qui renferment encore quelques microbes pathogènes, qui sont malodorantes et qui de ce fait doivent occuper un vaste site éloigné des habitations ? Que faire de ces 4 500 m3 d’eau sale qui s’écoulent des boues placées en litière ?
On a proposé d’utiliser ces boues partiellement séchées en agriculture pour les sols comme engrais, mais ces boues ont une composition peu favorable pour les micro-organismes du sol, qui transforment des produits en humus. Pour former de l’humus, il faut une certaine quantité de carbone mais aussi d’azote. Or les boues ne contiennent presque plus d’azote et n’ont que du carbone. Elles sont donc déséquilibrées. J’ai fait quelques essais au Maroc dans une station pilote. J’avais essayé de coupler le traitement des ordures ménagères avec le traitement des boues en question, parce que le traitement organique des ordures ménagères convenablement broyées, aérées, développe une flore microbienne extrêmement active. Au bout de quelques semaines on arrive à faire se développer des micro-organismes thermophiles jusqu’à 75-80% de température pendant plusieurs semaines, d’où pasteurisation naturelle. Si l’on commence à mélanger peu à peu les boues avec les ordures, la fermentation se déroule normalement et on obtient un bon compost, dont le rapport carbone sur azote est tombé à 15 qui est la proportion nécessaire aux micro-organismes du sol pour fabriquer de l’humus.

Pour l’Inde qui sera amenée à installer de sa propre fabrication de nouvelles stations d’épuration des eaux usées dans l’avenir en plus de celles construites récemment par des entreprises étrangères, la biotechnologie devrait lui faire prendre en considération l’efficacité réelle de la partie de l’installation de l’élimination des boues, et d’imposer le traitement des boues et de tous les résidus comme condition préalable. Il semble qu’il serait logique et sanitairement préférable pour une ville de prévoir d’installer à chaque fois la station de traitement des eaux usées à côté d’une usine de compostage des ordures ménagères et de produire ainsi un engrais pour l’agriculture.

Que faire des matières organiques séparées du traitement, celles qui développent des maladies par les micro-organismes, qui sentent très mauvais et dont personne ne veut ?

Je m’occupe des problèmes de recherche pour l’environnement depuis des années, et dans plusieurs pays, et je dois dire que dans ces domaines de lutte contre la pollution directe et indirecte des eaux, on n’a pas fait beaucoup de progrès ; au contraire, la situation s’est aggravée dans le monde, comme on le constate.

Recueil de notes par Françoise Vernes

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L’indépendance de l’Inde et du Pakistan

Synthèse de la conférence donnée par Claude Markovits, directeur de recherche au CNRS, un historien des plus renommés sur l’Inde, et plus particulièrement l’Inde de l’époque coloniale.
Centre André Malraux, 28 janvier 2008.

Le contexte
• Sur le plan international, l’indépendance de l’Inde en 1947 constitue une étape décisive dans le processus de décolonisation qui amène, entre 1947 et 1975, la fin des empires coloniaux européens. Cette indépendance a contribué au remaniement de la carte géopolitique du monde.
• Sur le plan régional de l’histoire de l’Asie, on constate, à la suite de la défaite du Japon, un retour généralisé et une tentative de maintien de la domination coloniale des puissances européennes (cf. Indochine française, Indes néerlandaises, Malaisie britannique).
Dans ce contexte, l’Inde fait figure d’exception.

Pourquoi la Grande-Bretagne n’essaie-t-elle pas de se maintenir en Inde ?
Depuis 1919 Les Britanniques s’affaiblissent peu à peu par une succession d’agitations nationalistes de masse auxquelles le nom de Gandhi est intimement associé :
Le Rowlatt satyagraha (satya: vérité et agraha: se tenir fermement à) de 1919 qui entraîne le massacre d’Amritsar où le général Dyer fait ouvrir le feu sur la foule.
Le grand mouvement de non-coopération de 1920-1922.
La revendication d’indépendance est relativement tardive: le parti du Congrès, fondé en 1885, n’inscrit à son programme qu’en 1920 ce qu’il appelle le Swaraj, et seulement en 1929 l’indépendance totale, purna Swaraj.
S’ensuit le mouvement de désobéissance civile de 1930-1934 qui paralyse pratiquement l’administration coloniale. Malgré des concessions aux provinces (système d’autonomie provinciale créé par le parlement britannique), le gouvernement central de New Delhi reste subordonné à Londres par l’intermédiaire de l’India Office, et conserve le contrôle de l’armée, de la police, de la justice, des finances et des douanes.

Trois atouts
Grâce à ces trois atouts, les Britanniques peuvent contenir le Congrès et se maintenir en Inde :
• L’existence des États princiers, 565 Indian States, dont les Britanniques gardent le contrôle, administrés par des souverains indiens (maharajah, rajah, nawab, nizam) qui restent à l’écart de l’agitation nationaliste.
• L’apparition d’un fossé politique croissant entre les deux grandes communautés religieuses de l’Inde (les hindous représentent 70 % de la population, et les musulmans environ 25 %). La Ligue musulmane, au départ un parti de notables musulmans pro-britanniques créé en 1906, et réorganisée avec succès dans les années trente par Mohammed Ali Jinnah, un avocat nationaliste musulman, a adopté une ligne très hostile au Congrès, ce qui permet aux Britanniques de jouer de cette division.
• Une force militaire : l’armée des Indes recrutée surtout parmi les sikhs et les musulmans du Punjab, et les Pathans du Nord-Ouest, ajoutée aux 65 000 hommes de l’armée britannique basée en Inde. Cela a pesé sur la politique non-violente de Gandhi qui savait que les Britanniques avaient la possibilité d’écraser tout soulèvement armé.

Changement de la situation mondiale en 1940
• Lorsque le vice-roi des Indes déclare la guerre à l’Allemagne au nom de l’Inde, le Congrès, bien qu’hostile au nazisme, ordonne aux gouvernements provinciaux de démissionner.
• L’entrée en guerre du Japon, fin 1941, et sa conquête de la Birmanie en 1942, met l’Inde en ligne de front et modifie la position britannique. Suite à la chute de la Malaisie et de Singapour en février 1942, 60 000 hommes des troupes indiennes engagées dans cette campagne désastreuse sont capturés par les Japonais. Un tiers de ces hommes rejoignent l’Indian National Army, créée en 1943 par le congressiste dissident Subhas Bose qui a « trahi » pour combattre aux côtés du Japon. Cette trahison a un grand effet psychologique sur les Britanniques dont le maintien de la domination repose sur la loyauté de l’armée indienne.

Le mouvement Quit India (août 1942)
Devant l’affaiblissement britannique face à la poussée japonaise, le Congrès décide un mouvement de masse pour obtenir l’indépendance immédiate, ce qui entraîne deux conséquences :
1. Les Britanniques arrêtent les dirigeants du Congrès avant qu’ils n’aient eu le temps de s’organiser. Il s’ensuit un soulèvement populaire qui prend un tour violent dans certaines régions, avec la destruction de tous les symboles du pouvoir colonial : bureaux de poste et gares de chemin de fer. Le mouvement est écrasé mais il révèle aux Britanniques la réalité des sentiments populaires indiens.
2. Quit India transforme le Congrès en organisation illégale, ce qui, paradoxalement, favorise les autres partis politiques, comme la Ligue musulmane qui ne prend pas alors de position anti-britannique.

L’avenir politique de l’Inde en août 1945
• Avant la guerre, l’Inde était fortement endettée vis-à-vis de la Grande-Bretagne et le remboursement de cette dette constituait une des raisons principales pour lesquelles les Britanniques voulaient rester en Inde. Mais, pendant le conflit, la situation s’est inversée. Et à partir de 1942, la Grande-Bretagne est débitrice de l’Inde car elle a dû emprunter auprès du gouvernement de l’Inde pour financer ses dépenses sur place.
• Londres doit réviser à la baisse ses ambitions internationales et accepter le leadership américain. Or les Américains sont favorables à l’indépendance de l’Inde pour des raisons idéologiques, mais aussi stratégiques, car l’Inde représente, croient-ils, un allié potentiel dans la lutte d’influence qui se profile avec Moscou.
• Suite à la défaite politique de Churchill en juin 45, le gouvernement travailliste de C. Attlee adopte une attitude pragmatique, basée sur la constatation d’un rapport de force modifié, et prépare un retrait britannique de l’Inde.
• les rapports entre hindous et musulmans se sont considérablement compliqués pendant les années de guerre. En 1940, la Ligue musulmane adopte la résolution de Lahore en faveur de la création du Pakistan (sans préciser s’il s’agit d’un état musulman séparé ou d’une confédération constituée de provinces à majorité musulmane et de provinces à majorité hindoue).

La fin de l’Empire des Indes
En mars 1946, le gouvernement de Londres envoie en Inde une délégation ministérielle chargée de trouver une solution acceptable pour les deux parties : un plan complexe prévoyant deux scénarios différents, acceptés conditionnellement par le Congrès, mais rejetés par Jinnah et la Ligue musulmane.
En août 46, la Ligue musulmane appelle à un mouvement de protestation à Calcutta qui dégénère en violence et marque le début d’une grande série de violences incontrôlables.
En octobre 46, le Congrès forme avec l’accord des Anglais un gouvernement de transition dirigé par Nehru, sans la Ligue musulmane.
À partir de mars 47, alors que les violences reprennent de plus bel au Punjab, arrive en Inde un vice-roi doté de pouvoirs extraordinaires, le légendaire Lord Mountbatten of Burma, auréolé par sa victoire sur le Japon dans le Sud-Est asiatique. Le gouvernement de Londres annonce alors que la Grande-Bretagne se retirera au plus tard en juin 1948, espérant ainsi forcer les dirigeants indiens à trouver un compromis. Mais rapidement, Lord Mountbatten arrive à la conclusion que la partition représente la seule solution.
En juin 47, Le Congrès accepte la division de l’Inde en deux États, l’Inde et le Pakistan, à condition que les deux provinces du Punjab et du Bengale, à légère majorité musulmane mais qui comprennent des régions à majorité hindoue et sikhe, fassent aussi l’objet d’une partition.
Les 14 et 15 août 1947 marquent la naissance de deux États indépendants: l’Union indienne et le Pakistan. Lord Mountbatten reste en Inde comme gouverneur général, jusqu’à ce que l’Inde se dote d’une constitution républicaine, en 1950. Jinnah devient gouverneur général du Pakistan où la république n’est proclamée qu’en 1956.
Un fait unique: quand les deux États deviennent indépendants, la frontière n’est pas encore délimitée. Une commission présidée par un juge britannique, Sir Radcliffe, sans grande connaissance du terrain, trace la frontière le 17 août. La colère des sikhs éclate car leurs lieux saints sont placés du côté pakistanais.

La partition : un des grands drames du XXème siècle
Les estimations varient considérablement, de 180000 à 2 millions de victimes ! On a dit que ces massacres étaient l’expression spontanée de haines intercommunautaires, or on sait que ces massacres ont été organisés. Le Punjab était une province très militarisée. On y a saboté les voies grâce au maniement d’explosifs par un personnel expérimenté, puis on massacrait à l’arme blanche. C’est dans ces attaques de trains de réfugiés que, probablement, la majorité des victimes a été tuée. Quelque 14 millions de personnes se sont trouvé déplacées, dont 10 millions dans la seule province du Punjab. Un million d’hindous ont quitté le Sind, une autre province pakistanaise. Les muhajir (émigrants) musulmans qui ont quitté l’Inde du Nord, appartenaient souvent à des familles de la classe moyenne qui ont gagné le Pakistan pour des raisons idéologiques.

Les acteurs du drame : Gandhi, Nehru, Jinnah, Mountbatten

Gandhi quitte le parti du Congrès en 1934 pour se consacrer, en particulier, à la lutte contre l’intouchabilité ou à l’adoption des tissus faits à la main, néanmoins il y garde une influence morale considérable. Quand il sort de prison en mai 1944, il tente une négociation directe avec Jinnah pour sortir de l’impasse entre le Congrès et la Ligue musulmane, qui s’avère un échec. Il adopte alors une position en retrait et laisse ses deux principaux lieutenants, Nehru et Patel conduire la politique du Congrès. Il essaie en vain d’endiguer la montée des violences intercommunautaires. Lorsque Lord Mountbatten lui présente son plan en juin 47, Gandhi se trouve devant un dilemme terrible, mais son sens du réalisme lui montre qu’il n’y a pas d’alternative à la partition. Son assassinat en janvier 1948 par un fanatique hindou lui donne l’aura du martyre.
Nehru forme un contraste saisissant avec son mentor Gandhi. Viscéralement anti-impérialiste et anti-colonialiste, Nehru doit faire face à une situation extrêmement dangereuse et complexe. Ce politicien socialisant, ne peut supporter le fossé entre masses hindoues et musulmanes.
Jinnah est originaire d’une petite communauté marchande chiite de Bombay, marié à une femme parsi, et encore plus anglicisé que Nehru. Jugé en Inde comme le responsable du drame de la partition, il est présenté comme le père de la patrie au Pakistan. Que voulait-il : un État pour les musulmans, incluant la totalité du Punjab et du Bengale, ou bien une confédération dans laquelle la ligue musulmane aurait partagé le pouvoir avec le Congrès ?
Mountbatten, héros pour les uns, vilipendé par d’autres pour avoir précipité le départ britannique sans avoir empêché les massacres du Punjab. Il est certain qu’on lui a confié une mission : extraire au plus vite la Grande-Bretagne du bourbier indien quel que soit le prix à payer pour les Indiens. Et l’armée indienne était trop divisée pour qu’il ait eu les moyens militaires d’empêcher les troubles.
On peut être sévère pour les grands acteurs de ce drame, le prix de leurs erreurs ayant été
payé par des gens ordinaires, comme au Panjab. Les documents de l’époque montrent que l’on ne pouvait imaginer de tels massacres, ni que l’Inde et le Pakistan puissent devenir des Etats hostiles l’un à l’autre.

Le conflit indo-pakistanais du Cachemire
Pomme de discorde supplémentaire dans les relations entre les deux nouveaux Etats, le Cachemire, un des 565 États princiers, officiellement Jammu et Cachemire, a été créé au milieu du XIXe siècle. Il avait été conquis par les Afghans à la fin du XVIIIe siècle. Les sikhs l’avaient arraché aux Afghans en 1819. Lorsque les Anglais ont défait les sikhs au milieu du XIXe siècle, ils ont gardé le Jammu auquel avait été donné souveraineté sur la vallée du Cachemire, région à forte majorité musulmane, et sur le Ladakh bouddhiste. Cet Etat du Jammu et Cachemire avait connu une existence paisible pendant un siècle avec des maharajahs hindous régnant sur une population à majorité musulmane.
En 1947, les États princiers sont placés devant l’obligation de choisir entre l’Inde et le Pakistan, selon une des clauses de l’indépendance. Le maharajah du Cachemire se trouve alors dans une situation délicate : l’essentiel de ses liens économiques se fait avec le Punjab occidental devenu pakistanais, et sa population est à majorité musulmane. Ces deux facteurs pourraient l’inciter à choisir le Pakistan, mais il est hindou et l’élite de son Etat sur laquelle il s’appuie, les Cachemiri pandits, sont évidemment très hostiles au Pakistan. De plus, le principal leader politique des musulmans du Cachemire, Cheikh Abdullah, est un adversaire politique de Jinnah et de la Ligue musulmane. Il est probable que si l’on avait organisé un plébiscite au Cachemire, la majorité de la population se serait prononcée pour l’indépendance que ni l’Inde ni le Pakistan ne veulent.
Devant les hésitations du maharajah, en novembre 1947, le Pakistan cherche à lui forcer la main en organisant une invasion de son territoire par des guerriers tribaux qui sèment la terreur. Le maharajah fait appel à l’Inde qui, pour prix de son intervention, exige qu’il signe l’accession à l’Union indienne. Il n’a pas d’autre choix que de s’exécuter. Mais, sur l’insistance de Mountbatten, il avait été décidé que le rattachement devrait être confirmé par un plébiscite placé sous le contrôle des Nations Unies. Ces événements conduisent à la première des trois guerres indo-pakistanaises dans un contexte militaire unique : un chef d’état-major général encore britannique, avec un chef d’état-major de l’armée indienne et un chef d’état-major de l’armée pakistanaise ; deux armées théoriquement subordonnées à un chef d’état-major suprême, qui commencent à se faire la guerre ! Cette guerre tourne à l’avantage de l’Inde qui établit son contrôle sur l’essentiel du Cachemire et sur le Laddhak. Le Pakistan s’installe dans un secteur qu’il baptise le Cachemire libre, Azad Kashmir, et un cessez-le-feu est finalement conclu sous l’égide de l’ONU, le 1er janvier 1949. En 1943, l’Inde annexe unilatéralement la partie du Cachemire qu’elle contrôlait, et le Jammu et Cachemire devient officiellement un État de l’Union indienne. Le Pakistan n’a jamais accepté ce fait accompli et Islamabad continue de réclamer l’organisation d’un plébiscite. New Delhi prétend que l’ensemble du Cachemire est indien et que l’Azad Kashmir est un territoire illégalement occupé par le Pakistan. Ce conflit, héritage direct de la partition, est une menace constante pour la paix de cette région du monde, où deux puissances nucléaires se font face.

Recueil de notes par Françoise Vernes

Bibliographie :
Histoire de l’Inde moderne 1480 – 1950, dirigé par Claude Markovits, Fayard, 1994.
Gandhi, Presses de Sciences Po, 2000. Cette biographie remarquable a été traduite en Inde.

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Synthèses

Les littératures de l’Inde aujourd’hui

Conférence donnée le 5 mars 2007 par Annie Montaut, professeur de Hindi à l’INALCO.

document_linkCi-joint le texte de sa conférence.