Synthèse de la conférence du 23 juin 2014 donnée par Christophe Jaffrelot
Les élections indiennes, du 12 avril au 16 mai 2014
La démesure des chiffres
· 66 % de taux de participation
Avec 815 millions de citoyens appelés aux urnes (inscrits et votants) l’Inde a battu le record mondial du plus grand nombre d’électeurs.
· Le coût financier des élections
Le coût de cette opération (7 milliards de dollars) est presque égal à celui des élections américaines de 2012, les plus dispendieuses de l’histoire de la démocratie. En parallèle, les partis politiques ont dépensé bien davantage, principalement en moyens de communication.
Narendra Modi, candidat du BJP (Bharatiya Janata Party, parti du peuple indien) et élu Premier ministre de l’Inde, a occupé le terrain des médias et des réseaux sociaux. Grâce aux nouvelles techniques d’images d’animation (hologrammes), il a pu donner, virtuellement en 3D, un même meeting en vingt-six lieux différents. Il l’avait déjà fait en 2012 au Gujarat. Le coût de chacun de ces meetings (150 millions de roupies) fait que les députés se comportent en hommes d’affaire ; à l’image des entrepreneurs qui transmettent leur société de père en fils, les députés veulent transmettre leur circonscription, ce qui explique le développement de dynasties politiques locales.
· La corruption du pouvoir ?
Le nombre croissant de crorepati
82% des députés sont des crorepati (une crore = dix millions de roupies), des « millionnaires en dizaine de millions de roupies ».
Le nombre de « criminels » au parlement
Plus de 30 % de députés sont accusés d’affaires criminelles telles que meurtres ou viols.
Les résultats
Le BJP n’a gagné que 31 % des suffrages exprimés. C’est la première fois dans l’histoire de l’Inde qu’un parti qui gagne moins de 40 % de voix progresse en nombre de sièges jusqu’à plus de 50 %. Ce contraste s’explique par le mode de scrutin uninominal à un tour, sur le modèle britannique, où le système de répartition des sièges valorise celui qui arrive en tête dans les circonscriptions. Quand plusieurs partis se trouvent en présence dans une circonscription, l’un d’eux peut remporter les élections avec seulement 30 % des suffrages exprimés du fait de la dispersion des voix sur les autres partis.
Ce qui est plus exceptionnel, c’est de réussir à faire cela dans un nombre de circonscriptions suffisant pour être majoritaire au parlement. Cela tient à la concentration géographique du BJP. Si on répartit 31 % sur tout le territoire indien, on n’obtient pas la majorité, mais si on concentre 31 % sur un nombre de circonscriptions où le score est supérieur à la majorité, même si c’est en nombre limité, on a plus de chance d’être majoritaire. Le BJP est très fort dans la moitié nord-ouest de l’Inde. Il a fait des percées dans le Nord-Est, en Assam, où il double son score pour passer à plus de 36 %, et au Jammu et Cachemire, où il obtient plus de 32 %, alors que cet État est à majorité musulmane. Au Bengale occidental, il obtient 10 %, et au Kerala, autre bastion communiste, il passe la barre des 10 % ; mais les percées dans ces États lui ont rapporté peu de sièges (cinq sur 282 sièges).